Un atelier de production d’amphores vinaires de Gaule Narbonnaise
l’Estagnola à Aspiran (Hérault)
La seconde campagne de fouille programmée de l’atelier de potiers de l’Estagnola s’est achevée cet été avec des résultats tout à fait intéressants concernant la production massive d’amphores à vin à l’époque flavienne et au début du IIe s. ap. J.-C. Ces recherches s’inscrivent dans l’axe 3 « Economie et environnement » du LabEx ARCHIMEDE et sont coordonnées par S. Mauné et O. Bourgeon. Elles constituent le pendant méthodologique et scientifique, en Narbonnaise, du programme PAEBR qui en Bétique romaine (Andalousie), traite de la production d’amphores à huile. La fouille de cet atelier et les recherches associées sont soutenue par le Ministère de la Culture, l’UMR5140 « ASM », le LabEx ARCHIMEDE et le Département de l’Hérault.
L’atelier se trouve sur la berge de la rive droite de l’Hérault et appartient à une série de six officines contemporaines qui bénéficiaient pour la commercialisation de leurs productions, de la présence de la grande pénétrante terrestre Cessero/Luteva/Condatomagos/Segodunum et de ce fleuve côtier ouvert sur la Méditerranée (port d’Agde). Il se déploie sur une ligne de 120 m de long, parallèle à l’Hérault ; il comprend une zone de bassins pour la production de l’argile utilisée par les potiers ainsi que cinq fours et un grand bâtiment. Sa présence ici pourrait s’expliquer par l’existence d’infrastructures portuaires, malheureusement recouvertes par un bois.
Des recherches pluridisciplinaires
Une prospection géophysique préalable à la fouille avait été réalisée en avril 2014 par Vivien Mathé et Adrien Camus (UM7266 LIENSs Université de La Rochelle/CNRS) et une nouvelle opération, destinée à préciser si d’autres vestiges antiques se trouvaient à proximité de l’atelier a été effectuée pendant l’hiver 2015. Au total, la surface couverte lors de ces deux opérations atteint 5 ha et les résultats confirment que les prospections pédestres et les observations de surface avaient bien délimité le site. Par ailleurs, les cinq fours fouillés en 2014 et qui avaient fait l’objet de prélèvements en vue de l’établissement de datations archéomagnétiques ont été traités par Ph. Lanos, Ph. Dufresne et L. Garnier à Rennes (UMR5060 IRAMAT Université Bordeaux Montaigne/CNRS) ce qui a permis, en confrontant ces résultats à la stratigraphie, d’établir leurs chronologies relatives.
Dans la zone des bassins située à l’extrémité septentrionale de l’atelier, la fouille a permis d’appréhender dans leur globalité, les aménagements bâtis destinés au traitement de l’argile, avant son utilisation par les potiers . Les relations stratigraphiques des cinq bassins et canalisations montrent l’existence de quatre phases d’utilisation distinctes témoignant de l’adaptation des capacités de production d’argile au travail des potiers, ce qui n’étonne guère. L’élément le plus remarquable est bien la taille des deux grands bassins qui se trouvent en position basse et recevaient l’argile préalablement décantée dans les petits bassins supérieurs. Ils ont en effet des capacités de stockage très importantes (61 et 78 m2 pour une profondeur d’environ 40 cm), sans commune mesure avec ce que l’on connaît dans le sud de la Gaule.
Dans le secteur méridional de l’atelier, ce sont deux grands fours rectangulaires qui ont focalisé l’attention de l’équipe de fouille composée d’étudiants et de doctorants de l’Université Paul Valéry-Montpellier 3 parmi lesquels Q. Desbonnets, V. Pellegrino, S. Corbeel, C. Dubler et I. Gonzalez Tobar.
Le plus ancien, le four 3 a fonctionné dans les années 70 ap. J.-C. puis a été intégré, lors de la construction du four 4 voisin, dans un très vaste bâtiment rectangulaire de 300 m2. Ce type de grand hangar a également été mis en évidence dans plusieurs ateliers régionaux en activité pendant le Haut-Empire comme ceux, voisins de Soumaltre (272 m2) et de Saint-Bézard (525 m3) à Aspiran. La multiplication de ces constructions en Narbonnaise marque bien évidemment l’augmentation sans précédent de l’activité potière provinciale et trahit également son entrée dans un système que l’on peut qualifier de proto industriel. L’Estagnola fourni donc un exemple supplémentaire de ces officines dont le développement s’inscrit dans un essor économique désormais bien appréhendé à l’échelle régionale, qui reposait en grande partie sur la production et la vente à longue distance de vins de qualité.
Avec ses grands fours 3, 4 et 1 (fouillé en 2014), l’atelier pouvait en effet produire des quantités importantes de matériaux de construction mais surtout d’amphores vinaires de type Gauloise 4 : le premier avait une capacité de 120 m3, le second de 69 m3 et le dernier enfin, de 58 m3 soit un volume de production maximal très élevé, d’environ 250 m3.
La question du combustible pour les fours
L’un des objectifs de ces recherches est également de préciser quelles furent les sources d’approvisionnement en combustible des maitres fourniers : ont-ils exploité une forêt alluviale occupant la zone située entre le fleuve et la voie Cessero-Segodunum, qui se trouve à 700 m à l’ouest, jusqu’à son éradication et son remplacement par des terres cultivées ? ont-ils eu recours au portage de bois sur l’Hérault qui pouvait mettre à leur disposition les ressources des forêts se trouvant à l’extrémité sud-orientale du Causse du Larzac (zone de Lagamas/Saint-Guilhem-le-Désert) ? L’analyse des importantes séries de charbons de bois qui ont été prélevées apportera sans nul doute des réponses à ces questions et fournira de précieux éléments de réflexion sur l’histoire de cet atelier d’amphore d’époque romaine.