Embournière (Neffiès, Hérault), un nouvel atelier d’amphores vinaires et de dolia de la cité romaine de Béziers

Au printemps et pendant l’été 2017, un atelier de potiers gallo-romain a été fouillé, par une équipe du LabEx ARCHIMEDE (Programme ARCHEAPOT) au lieu-dit Embournière à Neffiès, petite commune située dans la moyenne vallée de l’Hérault, au pied des monts de Cabrières, entre Montpellier et Béziers. La campagne de printemps a déjà fait l’objet d’une information en ligne (http://archimede.cnrs.fr/index.php/actualites/664-archeapot) et sont donc livrés ici les principaux résultats de la fouille du mois de juillet, chantier-école de l’Université Paul Valéry-Montpellier 3 ouvert aux étudiants en Archéologie et Histoire du cycle LMD.

 

Vue générale de la fouille de l’atelier d’Embournière à Neffiès, en juillet 2017.

(Cl. S. Mauné/LabEx ARCHIMEDE)

Cette opération a permis de confirmer que l’on se trouvait bien cœur de la zone artisanale, constitué de plusieurs fours installés à la perpendiculaire de l’axe de la rivière et orientés Nord/Sud. Comme sur d’autres ateliers fouillés récemment, en particulier à Aspiran (Saint-Bézard et l’Estagnola), les unités de cuisson, toutes à double volume et à tirage vertical et flammes nues, présentent des plans et des tailles forts différents.

Vue générale des cinq fours dégagés, en cours de fouille.

(Cl. Drone V. Lauras/LabEx ARCHIMEDE)

Il faut bien évidemment mettre cette observation en relation avec la diversité des productions locales, chaque four étant adapté à un ou plusieurs types de céramiques et d’objets en terre cuite.

L’un des intérêts de cet atelier est aussi de présenter une stratigraphie bien conservée, pouvant dépasser le mètre, résultant de son implantation sur un terrain en pente, descendant vers la rivière Bayèle qui se trouve à 30 m à l’est. Après l’abandon de l’atelier, des épisodes de colluvionnement et le déplacement latéral de la rivière vers l’est ont modifié la topographie locale, protégeant une partie des vestiges antiques sous une épaisse couche de terre argilo-limoneuse.

Localisé à la confluence de deux petites rivières qui descendent des reliefs calcaires situés au dessus du village de Neffiès, le site d’installation de l’atelier se trouve par ailleurs encadré par deux villae contemporaines d’époque romaine dont l’une a été fondée à l’époque tardo-républicaine. Cette proximité explique la découverte, sous les niveaux de fonctionnement des fours, d’un long mur de terrasse construit en blocs de grès et d’un sol cultivé, régulièrement amendé comme le montre la présence de quelques tessons de céramiques et de tuiles du Ier s. av. J.-C.

Vue générale de l’une des coupes stratigraphiques réalisées à Embournière avec le mur de terrasse et les sols cultivés du Ier s. av. J.-C.

(Cl. S. Mauné/ LabEx ARCHIMEDE)

Peut-être convient-il d’associer également à cette phase ancienne le puits situé au sud-ouest des fours, dont la fouille a dû être interrompue à – 5 m à cause de la remontée de l’eau.

C’est vers les années 20/30 après J.-C. que semble avoir été crée l’atelier de potiers. Seuls subsistent de cette phase les vestiges très dégradés d’un premier four circulaire (FR1a), un égout profondément bâti ainsi que des remblais destinés à niveler le terrain, riches en mobiliers archéologiques. À cette époque, étaient fabriqués des matériaux de construction en terre cuite, des amphores vinaires à fond plat de type Gauloise 2 et des Dr. 2-4 fuselées, imitations de modèles produits en Italie et en Espagne, à la même époque. Les potiers produisaient aussi de la céramique à pâte claire, cruches, pichets et gobelets, ainsi que des dolia, ces grandes jarres de 15 hectolitres indispensables à la vinification. La fabrication de dolia constitue une découverte scientifique importante puisque jusqu’à présent, seul l’atelier de Saint-Bézard à Aspiran, fouillé en 2006 par la même équipe, en avait livré des témoignages probants. Les données rassemblées dans sa thèse par Ch. Carrato avaient permis d’identifier cet atelier grâce à une série de lames minces et d’analyses physico-chimiques, mais pas de le localiser précisément.  La carte de répartition dressée dans ce travail indique que ces dolia ont été diffusés dans la vallée de la Peyne, notamment à Pézenas, ainsi que dans la basse vallée de l’Hérault.

Col d’amphore vinaire Gauloise 2 avec son timbre T. PAR(…) RODANI.

(Cl. S. Corbeel / LabEx ARCHIMEDE)

Plusieurs exemplaires du timbre T. PAR RODANI sur amphores G.2 ont été découverts. Il faut les mettre en relation avec les exemplaires TPA.RODANI connus sur des Dr. 2-4 de l’atelier de Corneilhan, situé à une vingtaine de kilomètres à l’ouest. Il est possible que les deux ateliers aient entretenu d’intenses relations ou bien qu’ils aient appartenu au même propriétaire, un citoyen romain dénommé T(itus) Par(…) Rodanus.

Vue en fin de fouille des fours 3 (à droite) et 4 (à gauche) qui fonctionnaient dans la seconde moitié du Ier s. ap. J.-C.

(Cl. S. Mauné/LabEx ARCHIMEDE)

Un four circulaire (FR3), très bien conservé, est ensuite installé dans les années 50/60 après J.-C. pour la cuisson de céramiques à pâte claire. L’atelier produit toujours des dolia, des matériaux de construction et surtout des amphores vinaires Gauloise 4. Un troisième four (FR2), de plan rectangulaire est construit à la fin du Ier siècle après J.-C. confirmant le dynamisme de l’atelier. À partir du premier quart du IIe siècle, les potiers ajoutent à leur répertoire des céramiques communes à pâte sableuse de type « Brune Orangée Biterroise » : bouilloires, plats, pots et imitations de marmites africaines d’un type totalement nouveau dans la région de Béziers. Ces données permettent d’illustrer la première phase de production de la BOB qui représente, dans des contextes de consommation régionaux, jusqu’à 70% du total des céramiques aux IIe et IIIe s. après J.-C.

C’est probablement dans les décennies 120/150 après J.-C. qu’est construit, à l’emplacement du premier four, un très imposant four de plan rectangulaire (FR1b), probablement utilisé pour la cuisson de dolia et d’amphores vinaires. Avec une capacité de cuisson de plus de 130m3, il s’agit assurément de l’un des plus grands fours actuellement connus dans les Gaules.

  Fouille d’un niveau de dépotoir d’amphores Gauloise 4 mises au rebut.

(Cl. S. Mauné / LabEx ARCHIMEDE)

L’évolution de l’atelier est ensuite plus difficile à cerner à cause des perturbations, par les travaux agricoles, des niveaux archéologiques les plus hauts. Les remblais et les aménagements datés après le milieu du IIe siècle semblent indiquer qu’il a continué de fonctionner pendant plusieurs générations. Pour finir, est installée une halle sur piliers de plus de 20 m de long,  perpendiculaire à l’accès du très grand four. Le site n’a livré aucun élément de datation postérieur au second quart du IIIe siècle et son évolution suit donc celle de la douzaine d’ateliers à amphores connus dans la vallée de l’Hérault.

La fouille d’Embournière enrichit le dossier déjà conséquent des ateliers de potiers de la cité de Béziers fournissant, pendant le Haut-Empire, les amphores mais aussi dans ce cas précis, les dolia indispensables à l’économie viti/vinicole alors en pleine expansion.

Elle permet de montrer qu’il existait des villae et des établissements ruraux situés à l’écart des grandes voies comme la Domitienne ou bien la voie Cessero-Saint-Thibéry/Luteva-Lodève/Condatomagos-Millau qui devaient tirer parti du réseau routier secondaire mais également des voies d’eau flottables comme la Bayèle et la Peyne affluent de l’Hérault pour exporter leurs productions potières et leur vin. La proximité de massifs boisés, installés sur les collines volcaniques qui se trouvent au nord-est du site, peut également expliquer l’installation ici d’un atelier spécialisé dans la production de dolia et d’amphores vinaires car le combustible était, on le sait, une charge financière importante pour un atelier de potiers. Sur ce point, on peut espérer que les nombreux charbons de bois, prélevés dans les niveaux de fonctionnement des fours, apporteront des informations éclairantes qui pourront être comparées avec celles issues des ateliers aspiranais.